Buenos-Aires

Pas de lien direct en Trielle, Cantal sauvage en pleine nature au centre des montagnes où règne le soleil et l'air et Buenos-Aires, la ville étouffante de voitures et de leurs pots d'échappement, de rues entremêlées, de piétons pressés, arrosée d'une pluie dilluvienne qui inonde la cité. Pas de lien direct entre les vingt et quelques danseurs de la ferme de Trielle et les danseurs argentins si ce n'est qu'ils se lancent dans la danse inconnue que nous leur proposons avec une vigueur positive,  une énergie nouvelle, un désir incandescent. Optimisme.

Nous voici donc arrivés à Bs-As.

Logés dans un appartement très agréable, très sud-américain, je ne sais pas ce que cela signifie réellement mais c’est pourtant le cas. Quelque chose de rétro peut-être, mais il s'agit d'un esprit européen qui jugerait sans dérision une esthétique autre. C'est agréable ce petit dépaysement du quotidien. Agréable ? dans le tohu-bohu de la rue le mot pourrait cependant paraitre un rien mal utilisé. Parquet ciré, murs blanc ou bleu, salle de bain un peu vétuste et simple, cuisine au frigo ronronnant comme un semi-remorque, table en formica et bois dans une entrée sans fenêtre aux murs rouge vin. La chambre  au bout d’un couloir sombre avec le lit et une fenêtre au lourd volet roulant. Je manque de me faire un tour de rein chaque matin en l’ouvrant. Puisque je suis au premier étage la lumière arrive avec peine, et c’est peut-être cet aspect sombre qui ajoute au vieillot. Le temps est à la pluie, presque à la tempête.

À peine arrivés sommes déjà en train de parler projet, au CETC, Centro Experimental del Teatro Colón avec Willy Landin et Alejandro Marconi, l’assistant dévoué et présent de Willy.

L’espace est superbe, parfait pour le Témoin, construit pour cette pièce ; un espace souterrain, ou plutôt plusieurs espaces sous terre, sous le Colón, murs en briques grises, plafond assez haut en briques rouges et séparés entre eux par des porches, des ouvertures larges, plus larges qu’une porte, multiples. Ce qui donne une possibilité de déambulation libre. Au centre un carré plus éclairé, avec quatre colonnes. C’est là que nous ferons l’audition pour les 240 danseurs le lendemain de l’arrivée, le 1^erseptembre.

Le gros hic, c’est le sol. Béton, béton partout et uniforme, propre certes et pas rugueux ce qui est un moindre mal, mais c’est du béton. En quelques minutes, Claude donne déjà un premier aperçu de la mise en scène. Est-ce que cela évoluera beaucoup par la suite, je ne sais pas mais nous plaçons presque toutes les scènes.

              

Le lendemain à neuf heures pour une audition prévue à dix heures tous les danseurs sont déjà présents. Allez on abrège la description, la journée se déroule superbement bien. Trois groupes de 80 personnes, auxquelles je donne exactement la même « classe ». Exactement ? Peut-on se reproduire trois fois avec les mêmes mots la même énergie, le même don de soi. Je ne sais pas, mais je tente. Avec cette idée en tête de ne favoriser personne, de donner la même chance à chacun, de ne pas juger de l'importance de l'un ou de l'autre. Le besoin de danser, de vivre, c'est universel. Claude sélectionne, le cœur fendu, une audition c'est autant de déchirure pour ceux qui ne sont pas retenus que pour nous qui ne pouvons les garder. Mais peut-on garder deux cent quarante personnes ? A chacun nous offrons au moins la possibilité de travailler  pendant une heure et demie.

Cinquante danseurs reviennent en fin d’après-midi pour une dernière séance de travail. Et nous gardons donc vingt cinq personnes pour le stage qui est prévu pendant cinq jours, à la fin duquel nous sélectionnerons dix danseurs pour le Témoin. Sélection ? sélection, le mot est horrible et j'en écrirais avec plaisir un autre, plus doux, moins drastique. C'est pourtant une forme de la vérité et sans doute pas la plus facile de notre aventure ici.