le Témoin en tournée
C’est étrange cette intime conviction que nous avons que la situation —oui, la situation sociale ou politique ou sociétale peut-être — a une échappée possible dans le collectif. Trop d'individualisme est en train de totalement pourrir notre société, les rapports humains, les finalités, les notions de contacts, d’échanges et de communication.
Mais entre collectif et collectivisme il existe un profond fossé, entre collectif et communautaire, il existe de nombreux ponts et plusieurs différences de taille. Cherchons donc l’équilibre entre l’individu et le groupe. Cela paraît presque absurde à énoncer, cela paraît même désuet. Et pourtant, l’enfermement dans un individualisme forcené n’est-il pas (je pose la question, je n’affirme rien) la base même de la montée des intégrismes, des fanatismes et des extrêmes (droite par exemple).
Élément de réponse cette semaine passée avec la troupe qui se déplace à Guyancourt, à la Ferme de Bel Ébat pour y danser le Témoin. Sans un coup de pouce du groupe le lieu ne peut se permettre d’accueillir seize danseurs et quatre techniciens. C’est alors que nous nous retrouvons en gite. Attention les limites de la décence syndicale sont respectées et le gîte en question penche du côté "accueil somptueux". Mais effectivement nous sommes rassemblés, petits déjeuner en commun, déplacement ensemble, dîner et retour au gîte de même.
Apparemment ça fonctionne puisque nous nous retrouvons même à faire le détour par le Trianon pour présenter à nos amis Argentins [et autres] le domaine princier de feue Marie-Antoinette.
Enfin le groupe n’est pas qu’une affaire d’économie de moyens. Il est surtout la concrétisation du propos. Chorégraphiquement, même si d’évidence Claude est le chorégraphe d’une œuvre que nous dansons tous, le groupe est responsable de la pièce. L’erreur, le poétique, l’essor, l’attraper et que sais-je encore, de l’un/l’une se répercute, se transmet, rebondit aussitôt chez l’autre.
Le groupe dépend de chacun et chacun émane de lui.
Ainsi nous dansons une générale unie. Concentrés par un lieu nouveau, une mise en scène qui change certains repères et surtout l’absence de Vincent (qui est resté à Nantes avec Lise sur le point d’accoucher). Pour Claude toute la pièce est nouvelle, puisqu’il danse quasiment tout le temps avec lui. L’unité du groupe est intense. Écoute. Et la pièce éclot. C’est tout en même temps de l’entre-aide, du soutien, de l’écoute, de l’union. Une sorte d’alliance autour d’un but commun et le désir de le faire transparaitre au public. Kafka.
Le lendemain, deux représentations dans la journée. Nous croyons la pièce en route, après cinq représentations à Nantes et déjà une à Bel Ébat. Début d’après-midi, classe amorcée, nous lâchons un peu, beaucoup, fatigue aidant aussi et l’ambiance est riante, détendue. Chacun retourne à lui-même. La concentration est présente et cependant quelque chose cloche. C’est immédiat, sensible bien qu’incompréhensible dès le premier premier geste ; et nous serons tous d’accord là-dessus. Pas de groupe. Pas de nécessite. De la danse effectuée, peu de ressenti, une sorte de professionnalime de façade. Apparement le public n’y voit goutte. Mais nous en sommes tous conscients.
La seconde représentation bénéficie des doutes et des réactions de chacun. Le lieu même change, l’énergie circule, l’intense se lit dans l’électricité de nos relations. La pièce explose. La pièce signifie l’humain, l’espace. Chacun s’y retrouve, public comme interprètes et de ce chacun surgit un groupe.
Public ou danseur ?